Bronzes africains, la technique du bronze à la cire perdue
La fonte à la cire perdue.
La technique de la fonte à la cire perdue en Afrique a servi à produire la plupart des pièces couramment appelées “bronzes”. On la retrouve dans presque tous les royaumes côtiers, du Libéria au Congo, mais aussi dans la plupart des royaumes de l’intérieur, dans les pays du Sahel : les royaumes Akan du Ghana et leur diaspora Baoulé en Côte d’Ivoire, l’ancien Danhomè, le royaume Yoruba d’Ifè, celui de Benin-City dans le Delta du Niger, les anciens royaumes du Delta intérieur du Niger, les Dogon, le royaume mossi de Ouagadougou et plus à l’Est, les Sao du Tchad, les royaumes du Grass-land camerounais. Elle est donc largement utilisée. Origines de la technique, les informations aujourd’hui disponibles ne permettent de connaître ni l’époque, ni l’origine, ni les conditions de la découverte des différentes techniques du travail du cuivre. Différentes hypothèses ont été avancées pour l’Afrique Occidentale. Pour certains diffusionnistes, l’Egypte et la Nubie auraient été les premiers intermédiaires pour transférer les techniques élémentaires du travail du cuivre, le grillage et le martelage en particulier, de la basse Egypte ou de la Nubie vers les pays du Sahel. Les pays du Maghreb auraient ensuite pris le relais. Une autre hypothèse, défendue par Lhote et Diop voudrait que les Africains aient découvert d’eux-mêmes les techniques simples de transformation du cuivre et des métaux cuivreux.
L’état de la documentation aujourd’hui laisse penser que la technique de la fonte à la cire perdue a été introduite du Maghreb. On en retrouverait des preuves dans les vestiges de Tegdaoust en Mauritanie datant du IXème siècle, tandis qu’au Mali et dans la vallée du Sénégal, les pièces dateraient du Xème siècle après J.C. Les ouvres très élaborées d’Igbo-Ukwu dans le delta inférieur du fleuve Niger datent du IXème siècle : elles viennent troubler cette hypothèse, aucune preuve n’étant faite des contacts de cette région avec l’islam et les pays du Sahel. Au sud de l’équateur, les connaissances sont encore moins précises, et aucune découverte ne permet de remonter au delà du XVIIIème siècle. L’approvisionnement en cuivre des centres artistiques L’existence de cette technique pose le problème de l’approvisionnement des ateliers et centres de production en matière première. L’état de la recherche actuelle ne permet pas de préciser d’où les artistes tiraient le cuivre nécessaire à leurs créations.
Il existe en Afrique de nombreuses mines de cuivre. Certaines sont exploitées depuis très longtemps ; celles du Niger le sont au moins depuis le IIème millénaire avant Jésus-Christ. En Afrique de l’Ouest, il en existe dans la région d’Agadez et d’Azelick. Ibn Battuta qui a visité la région en 1354-1355 en fait mention lorsqu’il écrit : «La mine de cuivre est en dehors de Takkeda. Les gens creusent le sol pour trouver le minerai qu’ils apportent à la ville. Ils le fondent dans leurs maisons, c’est le travail des esclaves des deux sexes…». En Mauritanie, au Mali et au Soudan on trouve aussi des mines. En Afrique centrale et australe, il y a un plus grand nombre de gisements : au Congo, en RDC, en Angola, au Zimbabwe, en Afrique du Sud, en Namibie. Leur exploitation ne remonte pas au delà du Ier millénaire après J.C. Des témoignages historiques attestent de l’utilisation de certaines de ces mines. Pour le Congo par exemple, Filippo Pigafetta dans sa “Description du royaume de Congo et des contrées environnantes” signale l’existence de haut fourneaux utilisés pour la fusion du cuivre, tandis que Olfert Dapper, dans sa “Description de l’Afrique” (1686) signale l’existence des mines de l’Angola. Quant à l’étain, on en trouve en surface au Niger dans l’Aïr mais aussi au Nigeria sur le plateau de Bauchi. Jusqu’à présent il n’a pas été possible de préciser de quelle mine provenait quel métal. Cette précision est d’autant plus difficile que les artistes réutilisaient les anciens objets en alliage cuivreux. Le minerai a pu circuler aussi sur les routes commerciales transsahariennes, du Nord au Sud, reversé sur celles de la cola en Afrique de l’Ouest.
On pense en effet que les Africains de la côte échangeaient l’or très recherché dans les pays du nord contre le cuivre dont ils ne disposaient pas. Ce commerce aurait duré du XIIème au XVème siècle et aurait emprunté les mêmes routes que celles qui emmenaient vers le nord les esclaves et l’ivoire. Le trafic maritime un siècle plus tard permettra à d’abondantes quantités de cuivre de se retrouver en Afrique, à partir des côtes. En Afrique orientale, pendant la même période, le cuivre était tiré des mines locales. On a des preuves que les populations préféraient le cuivre à l’or pour leurs bijoux.
Bronzes ou laitons ?
Les alliages cuivreux étaient fort valorisés en Afrique noire. Dans beaucoup de cas, ils se substituaient à l’or dont ils avaient approximativement la couleur. La complexité du procédé témoigne de la maîtrise des fondeurs africains. On comprend alors que dans la plupart des cultures, l’opération soit considérée comme “magique”, réservée à quelques spécialistes constitués souvent en corps de métier pour préserver le secret du métier. On demandait parfois pour son succès l’assistance d’un maître de l’occulte, le sorcier par exemple. Nous avons signalé plus haut que le terme “bronze” a été invariablement appliqué à la plupart des pièces contenant du cuivre. Il convient toutefois de distinguer les pièces en bronze de celle en laiton. Le bronze est un alliage de cuivre avec au moins 5% d’étain. Le laiton est un alliage de cuivre et de zinc. Il y a autant de pièces en laiton qu’il y en a en bronze dans les créations de l’Afrique subsaharienne. Les bronzes d’étain contiennent jusqu’à 10% d’étain ; lorsque le zinc est utilisé, son pourcentage peut aller jusqu’à 45%. Les analyses des pièces d’Ifè par exemple montre qu’elles contiennent zinc ou plomb dans des proportions variables. Les alliages cuivreux ont l’avantage d’offrir des objets plus solides que ceux en cuivre pur.
Ces bronzes sont plus faciles à fondre et à mouler, ils sont plus résistants aux chocs et donnent un son plus pur que le cuivre. Parfois on ajoute au cuivre deux ou trois autres métaux : le plomb et l’étain, ou le plomb, l’étain et le zinc. On parle alors de bronze tertiaire ou quaternaire. La couleur finale de la pièce varie en fonction de la plus ou moins grande quantité de métal ajouté. Plus elle est claire, plus il y a de métal additionnel.
Les étapes de la transformation La réalisation du moule La production d’un “bronze” résulte d’un long processus. L’artiste modèle d’abord un noyau d’argile ayant grosso modo la forme finale de l’objet. En général, il recouvre cette “âme d’argile” de cire ou, lorsque cette dernière fait défaut, d’une substance de nature similaire, capable d’être consumée par le métal en fusion. Le latex de cactus a joué ce rôle pour les ouvres du royaume d’Ifè. Le revêtement de cire est plus travaillé que l'”âme” d’argile : c’est lui qui possède la forme réelle de l’objet. Pour empêcher les mouvements du noyau, on y enfonce des chevilles de fer qui dépassent. La mise au point des “tuyaux” de conduction du métal en fusion Pour permettre la coulée du métal en fusion dans le moule, diverses techniques ont été utilisées : les atelier d’Ifè réalisaient des “chenaux de coulée” pour le métal et des “baguettes de coulée” pour évacuer l’air déplacé par le métal en fusion.
Dans l’ancien royaume du Danhomè, on aménageait une ouverture pour y verser le métal qui se répandait dans l’espace occupé par le modèle de cire. Les chenaux étaient à nouveau recouverts de plusieurs couches successives d’une argile plus épaisse. La pièce devient ainsi une gangue autour d’une masse de cire et surtout d’argile. On laisse alors le moule sécher puis on le met au feu pour faire fondre la cire. La coulée du métal et la finition Le métal en fusion est ensuite versé délicatement dans le moule chaud. Du soin mis à verser le métal dépend la finition de la pièce. Les bulles d’air ne doivent pas être emprisonnées et les chenaux doivent être pleins de façon à permettre au métal d’occuper tout le vide. On laisse ensuite le moule refroidir puis on le casse. Il libère une pièce qui porte encore des excroissances à supprimer avant le polissage qui donne son aspect définitif à l’objet créé. Autres techniques Des techniques autres que la fonte ont été utilisées pour travailler les alliages cuivreux : le martelage à froid, le découpage en ruban et la gravure au burin, le tréfilage qui consiste à étirer le lingot de cuivre pour en faire un fil. Le prestige des ouvres en alliage cuivreux Du cuivre et de ses alliages, les Africains ont tiré de nombreux bijoux.
Dans la plupart des royaumes, ce métal était roi, surtout lorsque l’or était rare. Les royaumes de l’actuel Nigéria, Ifè et Benin city en particulier, sont des modèles de l’utilisation des alliages cuivreux. On en a fait des têtes de rois, des portraits de couple royaux à Ifè. Certaines de ces têtes semblent encore nous parler. D’un très grand réalisme, ces personnages portent parfois des scarifications qui rappellent certains visages que l’on peut encore croiser aujourd’hui dans les villes du pays. Leur grand “classicisme” a fait penser que ces ouvres ne provenaient pas de l’invention et de la créativité locale. On a inventé pour les Africains, au nom du diffusionisme, des bronziers grecs ou carthaginois dont on n’a jamais pu retrouver les traces.
Sans la découverte des plaques de bronze du Bénin lors d’une expédition punitive anglaise en 1897, jamais le monde n’aurait cheminé vers le cubisme dont on ne cesse de parler. Ces plaques traitées en bas relief, racontaient les exploits guerriers des rois, les cérémonies religieuses. Elles ont démontré l’existence d’un brillant art de cour où les personnages et les scènes de la vie prennent un relief unique. On y découvre une perspective due tout simplement à la hiérarchisation des personnages dans le plan. Les instruments de musique ont aussi été réalisés avec des alliages cuivreux. Au sud du Bénin, la musique de cour, exécutée par les reines à Xogbonou, se fait à l’aide d’une canne à percussion en alliage cuivreux sur laquelle coulissent des anneaux. Initialement, elle était en fer. Il est probable que la beauté des sons du métal en alliage cuivreux ait conduit au changement. Plus au nord, dans le pays fon, les cloches géminées des “kpanlingan”, ces hérauts de cour qui redisent chaque jour au lever du roi, la geste des rois ancêtres, sont aussi en alliage cuivreux. Le cuivre et ses alliages continuent d’exercer un grand attrait sur les Africains.
Certains en ont découvert les vertus thérapeutiques et n’hésitent pas à y recourir. L’artisanat d’art dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest continue de perpétuer des formes nées depuis des siècles, où le cuivre redit de tout l’éclat de son jaune, la beauté et la joie de vivre.
Joseph Adandé Université d’Abomey-Calavi