Comprendre l’art Africain
L’art africain traditionnel, qui fut aussi appelé « art nègre », se subdivise en une multitude d’arts locaux. Les musées internationaux ayant longtemps négligé l’artafricain, de ce fait la plupart des chefs-d’œuvre sont entre les mains des collectionneurs privés et des marchands, et certains d’entre eux ont réalisé depuis les années 1980 de véritables fortunes. Après les diverses indépendances, beaucoup d’Européens étaient rentrés en Europe avec souvent d’importantes collections, et peu à peu ces dernières ont déboulé sur les marchés aux puces et les ventes aux enchères.
Les objets
La diversité plastique de l’Art africain traditionnel montre une prodigieuse imagination et une intensité magique, révélant l’omniprésence du sacré — qui fascina quantité d’artistes et collectionneurs occidentaux au XXe siècle dont André Breton— et des rites complexes : cérémonies où se jouent la définition du pur et de l’impur, la perpétuation de la lignée, la légitimation des alliances, la force et la cohésion du clan.
La véritable passion de l’art africain se doit dans certains cas de respecter l’objet dans son intégralité, ce qui signifie donc par exemple d’accepter l’existence — sans se laisser impressionner — d’une couche de sang séché (croûte sacrificielle) recueilli au cours des sacrifices rituels. Aux dires des collectionneurs les plus passionnés, les traces laissées de leur utilisation confèrent à ces objets une puissance magique ou esthétique que les autres ne possèdent pas.
Parmi les objets usuels africains on peut aussi trouver des objets artisanaux tels que des poulies, des serrures de grenier, des échelles, des calebasses pyrogravées et des armes, des objets personnels (poupée de maternité, fétiche), mais aussi des objets comme des statues décoratives sculptées pour les villas des blancs dans les années 1950 et 1960, ou comme enseignes naïves des boutiques. Ces objets sont des «faux» pour les puristes et les «ethnos» qui les méprisent, mais ces pièces, aujourd’hui patinées par le temps, se révèlent des choses, souvent très belles et très touchantes, d’un art réellement populaire, témoin d’un temps aujourd’hui révolu. Par exemple les statues dites «colons» représentent le «colon», l’homme blanc vu par l’homme noir, et sont souvent des statues pleines d’humour et de drôlerie (casque colonial, pistolet à la ceinture, mains dans les poches).
Cependant les faux d’aujourd’hui font des ravages, car dans de nombreux villages africains les artisans sont passés maîtres dans l’art de patiner le neuf, d’autant plus que selon les experts il devient impossible de retrouver aujourd’hui une œuvre majeure sur le continent. Tout est déjà en Europe, chez les collectionneurs (comme le bruxellois Willy Mestach), dans les familles d’anciens colons ou en Amérique dans les musées. Trouver un objet rituel étant devenu rarissime, il y a de nombreux vols concernant ces objets, liés à la découverte de cet art primitif. D’autre part, de nombreux «rabatteurs» écument les villages de brousse les plus éloignés pour inciter les villageois à leur vendre leurs objets usuels comme les statuettes, les masques ou les poupées. Lors de la mode des échelles de grenier Dogons, à la fin des années 1980, les antiquaires africains raflèrent toutes les échelles des villages et saturèrent le marché parisien, ils firent la même chose pour les serrures Bambaras. Dans les années 1990, des trafiquants volèrent des centaines de waka, des stèles funéraires de bois sculpté, placées sur les tombes des chefs de clans Konso.
Les gouvernements africains de leur côté laissent faire car ils ne manifestent pas beaucoup d’intérêt pour le marché de l’art africain et même le boudent, alors qu’une résolution prise par l’UNESCO interdit, depuis le début des années 1990, de faire sortir masques et statues du continent africain. Mais dans les faits, ni l’UNESCO, ni les gouvernements africains ne disposent des moyens d’endiguer l’hémorragie et de protéger ce patrimoine. De plus certaines critiques se sont élevées contre une telle mesure avec comme argument de dire : « Rien n’interdit aux Européens, aux Américains ou aux Japonais de vendre leurs œuvres à l’étranger ou d’en acheter. Pourquoi ce droit serait-il interdit aux Africains ? ».
L’Afrique reste cependant un gisement artistique naturel d’importance majeure, car d’un bout à l’autre de ce vaste continent il existe des milliers de tombes millénaires contenant encore des dizaines de milliers d’objets à découvrir. Quelques musées africains, dont les États n’ont pas les moyens ni la volonté d’entreprendre des fouilles, tentent de s’organiser et de proposer aux marchands des fouilles mixtes ou conjointes avec comme but de conserver les pièces les plus exceptionnelles et au moins de pouvoir être intéressés aux ventes des objets collectés, afin d’avoir les moyens de mettre en œuvre une véritable politique d’acquisition.
Aujourd’hui l’art africain est une mine inépuisable d’inspiration pour les créateurs qui le réinterprètent mais « hors de son milieu, retiré de son contexte, non seulement géographique mais aussi social, l’objet perd son identité culturelle. (…) De la panoplie du “colonial” au mur du “collectionneur” associé aujourd’hui à l’art contemporain, on tend à oublier la relation de l’objet africain avec son milieu d’origine, faisant abstraction de l’évidente implication ethnologique ».
Les artistes
Pendant longtemps, il a été admis sans discussion que l’art africain était un art anonyme, un art dont les productions, régit par des préoccupations ethniques, religieuses et rituelles dominaient complètement l’individualité créatrice. Il était admis comme une évidence que les objets, relevaient tous de préoccupations rituelles ou mystiques et ne concernaient guère l’esthétique. S’il est vrai que les objets d’art n’avaient pas de valeur marchande dans les sociétés africaines traditionnelles et que les œuvres n’étaient bien sur pas signées dans le contexte de sociétés sans écriture, il n’est pas moins vrai que les artistes marquaient parfois leurs œuvres par des signes distinctifs que les européens ne reconnaissaient pas et ignoraient. L’idéologie de l’anonymat a donc participé d’une dépréciation générale des européens vis à vis de l’art africain. Pourtant, les recherches en ethnologie de l’art commencent à déconstruire ces préjugés. Selon l’ethnologue Patrick Bouju, « l’ethnologie de l’art, en se développant, découvre la création individuelle et abandonne l’idéologie de l’anonymat ».
Les qualités esthétiques des objets ne sont pas seulement soulignées, il est maintenant admis que l’artiste africain apprend son métier, parfois dans des ateliers dont le fonctionnement a été comparé avec les ateliers médiévaux ou de la Renaissance, selon des règles précises sur le plan esthétique et social, et qu’il travaille le plus souvent sur commande. Ce processus crée une émulation entre les artistes qui sont distingués au sein de leurs sociétés respectives. Ainsi, à eux seuls, les Yoruba du Nigeria distinguent au moins une trentaine de maîtres sculpteurs jouissant d’une considération particulière. Les Fân du Woleu-Ntem reconnaissent une quarantaine d’artistes dont le nom se transmet de génération en génération. La transmission des connaissances de père en fils produit parfois des familles de sculpteurs. Désormais, les œuvres sont de plus en plus souvent attribuées à des ateliers ou à des artistes. Il apparaît donc que la persistence de l’anonymat résulte largement de la manière dont les œuvres étaient récoltées, sans hégard pour leur créateur, particulièrement pendant la période coloniale, manifestant ainsi le désintérêt des fonctionnaires coloniaux au moment où ils effectuaient ces prélèvements.
Les progrès dans les techniques de datation permettent aussi de restituer la profondeur historique de cet art. Des objets en bois que l’on croyait du XIXe siècle, à cause de la fragilité du support, peuvent remonter au Xe siècle. Des tests de thermoluminescence effectués sur les noyaux d’argile des bronzes d’Ife, qu’on croyaient soumis à des influences européennes à cause de leur classicisme, remontent en fait au XIVe siècle, avant l’arrivée des Portugais au Bénin en 1485.
D’autres ethnologues portent leur recherche sur les esthétiques africaines. Suzanne Vogel insiste sur le classicisme et la sérénité des arts africains, établissant des liens entre les catégories éthiques et esthétiques au sein même des sociétés africaines. La sortie de l’anonymat de l’art africain, son historicité et son rattachement à des valeurs esthétiques universelles sont liés à la découverte de fortes personnalités artistiques au sein même des sociétés traditionnelles. Si Olowe d’Ise bénéficie d’une reconnaissance internationale déjà ancienne, d’autres, comme Bamgboye (1893-1978), Areogun (1880-1954) et son fils George Bandele, Esubyi (mort v. 1900), Fagbite Asamu, son fils Faloda Edun (né en 1900), Osei Bonsu (sculpteur gahnéen, 1900-1977) ou Ologunde (d’Efon Alaye) commencent à bénéficier d’une reconnaissance dépassant de loin leur insertion dans un contexte traditionnel. Cette reconnaissance permet aussi de mieux comprendre la continuité qui lie l’art africain traditionnel et l’art contemporain africain ainsi que les relations complexes que les artistes contemporains africains ont à l’hégard de leurs propres traditions.
Les styles
La question des styles africains, de leur historicité, de leur répartition géographique, des échanges et des influences est complexe et ne peut être que brièvement évoquée ici. La première observation impose de constater la multiplicité des arts africains. Il n’existe pas un seul art monolythique, mais une multiplicité de styles et de traditions coïncidant plus ou moins avec les ethnies et les royaumes.
La manière la plus commune d’aborder les différents styles consiste à considérer l’origine ethnique des objets. Elle correspond le mieux aux notions d’art primitif, d’art premier ou d’art tribal. Aux yeux du grand publique, ce sont ces traditions qui incarnent le plus immédiatement l’art africain. Elles sont principalement constituées de statuettes et de masques dont les déformations expressives et la géométrisation ont fasciné les artistes modernes comme Picasso. Cette forme d’art ne prend tout son sens que lorsqu’elle est remise dans le contexte des croyances et des cérémonies au service desquelles elle se met.
L’art de cour, plus difficilement assimilable aux arts premiers, a pour fonction principale la célébration du pouvoir royal. Les célèbres têtes d’Ifé, véritables portraits individualisées, correspondent à des structures sociales fondées sur des cités-états ayant un roi, une cour et tout un cérémonial lié au pouvoir royal. Les bas-relief du Bénin sont de véritables mémoriales glorifiant les exploits de leurs souverains et la vie du royaume.
Une autre manière d’aborder la question consiste à étudier les oeuvres à partir de leur origine géographique. Certains chercheurs comme Engelbert Mveng distinguent trois zones principales. L’Afrique de l’Ouest compte les styles du Bénin et les styles que nous englobons sous le nom d’ensemble soudanien. Les styles du Bénin s’étendent depuis l’ouest du Cameroun jusqu’au Ghana. Si l’art Bamiléké et Bamoun, l’un des plus riches d’Afrique, se rattache à la zone du Bénin part certains aspect, l’art Fang–Béti et Batéké, célèbre par ses miniatures, ou par ses masques et ses reliquaires d’ancêtres à plaques métalliques, annonce celui du Congo. Le Bassin du Congo est l’un des foyers les plus dynamiques de la sculpture nègre. La seconde zone correspond à l’Afrique méridionale. C’est surtout le tissage et la décoration murale qui fleurissent chez les Matabele, les Xosas, les Lesuto. La sculpture en bois est pratiquée également chez les zoulous ; le mobilier et la vaiselle en bois, en Zambie, au Mozambique, révèlent un sens esthétique exceptionnel.
L’Afrique de l’Est dans les régions influencées par le monde arabe, a créé un art de synthèse qui ne manque pas d’originalité. L’artisanat et l’architecture de Kilwa, de Bagamoyo, de Zanzibar, l’illustrent clairement. Plus à l’intérieur, les Makondés, à la frontière du Mozambique, sont célèbres pour leurs masques authentiquement africains… Plus à l’Est, l’art de Madagascar, est un trait d’union entre l’Afrique, l’Asie et l’Océanie. Ses panneaux sculptés associent les motifs décoratifs africains aux influences les plus diverses. Ses poteaux funéraires rappellent ceux d’Afrique, tout en y associant des symboles orientaux.
On peut aussi analyser les œuvres du point de vue de leur succession historique (la succession Nok-Ifé-Bénin est souvent prise en exemple), de leur matérialité (bois, pierre, terre cuite, métal, tissu, perle) ou d’autres critères.
Sources: http://en.wikipedia.org/wiki/African_Ar